Quels risques dans les sports de combat ?

Le risque est indissociable de la notion de sport : tout sportif sait qu’il risque un accident, puisque d’une certaine manière il met son corps en jeu. Le sportif engage son intégrité corporelle de son plein gré, cela d’autant plus lorsqu’il pratique une activité spécifique comme les sports de combat, dans lesquels « le risque c’est le sport ». En ce sens, voir l’arrêt cité en propos introductifs par Philippe Planès : le risque est inhérent à la pratique du taekwondo (CA Aix 29 janvier 2003).

Un sport de combat est une forme d’activité sportive proposant un affrontement entre deux combattants. Cette notion s’oppose à celle d’art martial qui étymologiquement signifie art de la guerre. Si le sport de combat est historiquement un sport de confrontation physique entre deux adversaires, l’art martial a été créé pour faire du corps une arme de guerre utilisable qu’en dernier recours (concrètement les arts martiaux ont été créés par les nobles asiatiques pour pouvoir se défendre au combat même s’ils étaient désarmés).

Néanmoins, ces deux notions sont très proches, et souvent confondus. Ainsi, au niveau olympique on entend, entre autre, comme sport de combat : la boxe anglaise, l’escrime, la lutte, mais aussi le judo et le taekwondo (qui sont deux arts martiaux).

Sont également à rapprocher, sans reconnaissance olympique cependant : l’aïkido, le catch, le karaté, le krav maga (technique de self défense d’origine israélienne très à la mode), ainsi que le full contact (ou boxe américaine), et le combat libre (ou free-fight, en anglais). Cette liste est non exhaustive, et présente ces quelques disciplines en fonction de la violence des « rencontres », de manière croissante.

En acceptant de mettre son intégrité physique en jeu, le sportif accepte les risques qui découlent de la pratique du sport de combat considéré. L’acceptation des risques, c’est la reconnaissance par la victime de l’éventualité du dommage qui pourrait lui être involontairement causé. Cela permet de légitimer des comportements.

C’est donc la faute qui constitue le vecteur pour engager la responsabilité d’un sportif, mais également la responsabilité de l’encadrement dans l’exercice de ce sport. Si la responsabilité d’un organisateur sportif est en principe d’ordre contractuel, celle du sportif qui blesse fautivement son adversaire est de nature délictuelle. Quelle que soit la gravité du préjudice subi, cette responsabilité ne sera engagée qu’en cas d’irrégularité, au regard des règles sportives, et pour les sports de combat du coup porté, ou de la prise effectuée.

Le juge civil, comme pénal, sera donc obligé de prendre en compte des paramètres propres au sport tels que la compétition, le dépassement de soi ou la violence inhérente aux sports de combat. La majorité des litiges portant sur l’acceptation des risques en matière de sport de combat relève néanmoins du domaine des articles 1147, 1382, 1384, ou 1385 du Code civil. Rares sont en effet les décisions des juridictions pénales sur ce sujet, notamment parce que la faute pénale appréciée strictement est très rarement relevée.

L’acceptation des risques

1. Caractères

Sans cette acceptation il ne peut y avoir d’activité sportive, en particulier dans le domaine des sports de combat. Cette théorie permet de légitimer une atteinte aux droits et intérêts d’une personne déterminée, en présence de circonstances particulières, comme l’exercice de ces sports. Cependant elle n’est pas à elle seule et en tant que telle, un fait justificatif exonératoire de responsabilité, mais sa prise en compte peut conduire à un allègement de responsabilité de l’auteur du dommage. « Elle ne saurait avoir l’effet d’une convention de non responsabilité » (Cass, 2° civ, 16 février 1956).

Les difficultés dans l’acception de cette notion sont nombreuses en particulier du fait de l’imprécision de sa signification, et de l’équivoque des plaideurs qui y trouvent un moyen aisé d’exonération. Comment un juge peut il apprécier l’étendue d’une faute commise dans l’exercice d’un sport, ou bien les fautes de jeu qui ne sont que de simples maladresses ?

Pour retenir ou écarter l’acceptation des risques il faut caractériser :

  • une participation réelle et volontaire à l’activité ludique concernée, plus que jamais dans le cadre de sport de combat ;
  • il faut que les risques aient été acceptés en connaissance de cause (l’âge de la victime importe peu, il faut qu’elle ait une certaine capacité de discernement Cass, civ 2°, 16 octobre 1968) ;
  • les risques doivent être normaux, prévisibles et inhérents à l’activité concernée. La distinction traditionnelle est faite entre le faute de jeu et la faute dans le jeu. La faute dans le jeu exclut de fait l’acceptation des risques du fait d’une agressivité, une malveillance, une déloyauté qui vont constituer une faute d’une particulière gravité, dépassant le cadre sportif.

2. Application : l’absence de faute de l’auteur

La question se pose de savoir si l’acceptation des risques peut avoir pour effet de supprimer la faute génératrice de responsabilité. Dans l’affirmative, elle serait alors considérée comme un véritable fait justificatif. L’acceptation a un rôle sur la faute ; elle en recule le seuil en lui imprimant une certaine spécificité.

Ainsi par exemple, les coups violents que se portent volontairement des boxeurs ne sont pas constitutifs de fautes (CA Douai, 3 décembre 1912).

De même, un combattant de karaté dont le coup provoque de graves blessures au visage de son adversaire ne commet aucune faute, du moment que son mouvement est exécuté dans les règles et techniques du karaté (CA Riom, 4 juillet 1985).

Dans le même sens, un lutteur ne commet pas de faute envers son partenaire si la prise effectuée est régulière et ne devient dangereuse que du fait d’une perte d’équilibre qui n’est ni volontaire ni consécutive à une maladresse ou une négligence (Cass, civ 2°, 11 juin 1980).

En règle générale pour la jurisprudence, l’acceptation des risques justifie l’acte dommageable dans la plupart des sports comme : la boxe française (Cass, civ 2°, 5 décembre 1990, 1er attendu), ou la lutte gréco romaine (Cass, civ 2°, 11 juin 1980).

Pour les sports de combat « nouveaux », ou qui tout du moins se développent du fait notamment de la diffusion des séries télévisées, et films, comme l’Ultimate fighting, ou le K-1, qui dénotent d’une grande violence, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée. Nul doute que dans de tels sports de combat l’acceptation des risques sera ici interprétée très largement, en particulier du fait que les seules, et rares, interdictions sont par exemples les coups portés « en dessous de la ceinture », et que le combat se poursuit tant qu’un adversaire n’est pas KO, maitrisé, ou TKO (KO technique, soit lorsque un des participants s’est fracturé un membre, ou saigne abondamment).

Pour les juges, admettre l’acceptation des risques par la victime c’est alléger, ou écarter la responsabilité de l’auteur du dommage. Dès lors la distinction s’opère sur le terrain des fautes : faute de jeu, faute dans le jeu. Les fautes de jeu représentent donc des maladresses ou des imprudences involontaires dans le feu de l’action, qui se justifient par l’acceptation des risques, et les fautes dans le jeu, ou contre le jeu, sont volontaires, contraires et commises contre les règles du jeu. Seules ces dernières permettent d’engager la responsabilité de leur auteur, elles doivent par conséquent être démontrées par la victime et écartent de ce fait la théorie de l’acceptation des risques (Cass, civ 1°, 19 juillet 1988). Il existe aussi d’autres hypothèses, d’apparences extra-sportives, où une responsabilité pourra être engagée, rejetant la théorie de l’acceptation des risques. La faute peut également provenir de la victime elle-même.

3. Application : faute de la victime

Lorsque l’acceptation des risques par la victime est anormale ou excessive, et l’expose à un danger grave ou probable, la jurisprudence admet une exonération partielle du défendeur, auteur du dommage. Il faut donc que cette acceptation constitue une véritable faute de la part de la victime.

Cette hypothèse, très régulièrement admise pour des solutions variées comme la faute d’un passager automobile, qui s’installe dans un véhicule dont le chauffeur est manifestement ivre (Cass, ch mixtes, 28 janvier 1972), ou de spectateurs imprudents qui se placent dans des endroits dangereux (Cass, civ 1°, 7 février 1966), est plus rare dans le domaine sportif. En effet il faut bien avoir à l’esprit qu’en principe, l’organisation d’évènements sportifs (compétitions, ou entrainement) suppose la présence de personnels encadrant, qui vont ainsi pouvoir juger des capacités de chaque participant. Entre eux également les sportifs peuvent se juger et s’éviter toute confrontation inutile, ou pouvant tourner à l’avantage exclusif d’un combattant.

Nul doute cependant que dans un cas d’école comme celui d’une participation à un sport de combat sans aucune expérience, ou une expérience bien moindre, que tous les autres participants, la victime ne pourra engager aucune responsabilité, d’autant plus si elle a menti sur ses compétences.

Comme signalé précédemment à travers l’arrêt Cass, civ 2°, 16 octobre 1968, la victime doit avoir une certaine capacité de discernement, pour accepter les risques. Ce discernement comprend donc, et en toute logique une certaine appréciation de ses capacités tant physiques que sportives, eu égard à celles de ses adversaires, qui en cas de risques anormalement élevés aurait dà» conduire la victime à refuser de participer.

Les hypothèses développées ci-dessus : absence de faute de l’auteur du dommage et faute de la victime, ne sont pas pour autant les seules à mettre en jeu l’acceptation des risques en matière de sports de combat. En effet, cette théorie peut également être invoquée, non pas pour rejeter toute responsabilité mais pour la retenir.

Rejet de l’acceptation des risques : la responsabilité

1. Faute et responsabilité de l’encadrement

D’ores et déjà, l’acceptation des risques dans les sports de combat, doit être limitée, par trois critères extérieurs. La pratique des sports de combat suppose nécessairement un engagement physique de la part des participants, mais également un encadrement spécifique ainsi qu’une nécessaire régulation des « affrontements ».

En effet, l’exercice d’un sport de combat quelque qu’il soit ne doit pas se faire dans des installations qui sont susceptibles de mettre en danger les pratiquants. La responsabilité contractuelle d’un club de boxe pourra être retenue du fait de l’insuffisance de revêtement au sol et le dommage occasionné à un boxeur lors de sa chute (Cass, 2° civ, 5 décembre 1990, 2nd attendu). L’acceptation des risques ne permet pas de s’exonérer de l’inadaptation des installations pour la pratique du sport.

De même, du fait de la dangerosité du sport, l’obligation de surveillance des personnels encadrant tels que les instituteurs est renforcée. Ainsi, sont générateurs de responsabilité et ne permettent pas de retenir l’acceptation des risques le fait de laisser 120 judokas sur un tapis en présence d’un nombre insuffisant de moniteur (CA Nîmes, 25 février 1985), ou le fait de laisser des jeunes élèves exercer la boxe française sans protections particulières (CA Dijon 19 avril 1994).

Par contre, les parties sont reconnues comme ayant accepté les risques lorsque la présence d’un moniteur n’aurait rien pu changer à la réalisation du dommage, lié à une chute lors d’un combat de lutte (Cass, 2° civ, 11 juin 1980), ou plus surprenant, lorsque le cours de judo a été dispensé dans l’espoir d’apprendre à des élèves à se battre « à la loyale » (TGI, Créteil, 27 juin 2000).

Enfin, l’encadrement dans l’exercice des sports de combat doit démontrer également la prudence avec laquelle il exerce ou fait exercer son sport. Un organisateur sportif sera ainsi condamné s’il met un débutant dans une situation de combat trop difficile, comme par exemple un combat entre un lutteur néophyte et un autre chevronné (Cass, civ 1°, 13 janvier 1993, 1er attendu). Cependant, il ne faut pas considérer que la mise en concurrence entre un sportif débutant et un autre confirmé est constitutif d’une faute car l’expérience est en principe un garantie pour le débutant d’un bon enseignement (pour la lutte voir CA Versailles, 21 mars 1990, pour le jiu-jitsu voir Cass, civ 1°, 17 octobre 2000). Ces positions jurisprudentielles témoignent de l’analyse très spécifique menée par les juges et du distinguo opéré entre l’entrainement et le combat.

2. Faute et responsabilité des sportifs

Dans le cadre de la responsabilité du sportif auteur du coup dommageable, un arrêt déjà cité (Cass, civ 2°, 5 décembre 1990), est à relever. La Cour de cassation, censurant les juges du fond qui, pour retenir la responsabilité d’un boxeur, se sont bornés à énoncer que la boxe française est un sport dangereux exigeant de la maitrise de soi et que, si le boxeur a frappé son adversaire avec violence sans contrôler la force de son geste, il n’a pas pour autant commis de faute volontaire contre la règle du jeu. L’importance de cette arrêt est due au fait qu’il associe la faute avec le respect de la règle du jeu.

En ce sens, les juges de la Cour d’appel d’Amiens ont le 13 mai 2004 considéré que la responsabilité d’un judoka ne peut être engagée que s’il est démontré que le dommage subi par la victime résulte d’une faute contraire aux règles de ce sport de combat, lequel comporte nécessairement des risques acceptés par ceux qui le pratiquent.

Cependant ce principe n’est pas absolu. La Cour de cassation avait ainsi précédemment relevé dans un arrêt de 1993 (Cass, civ 1°, 13 janvier 1993, 2nd attendu), que la responsabilité d’un lutteur chevronné possédant une expérience de huit années pouvait être retenue s’il effectuait sur un débutant une prise ne correspondant pas à ses aptitudes et pouvant être dangereuse pour lui.

Si la responsabilité du sportif auteur de l’acte dommageable ne permet d’écarter l’acceptation des risques qu’en présence d’une faute intentionnelle, elle n’entend pas pour autant étendre la faute à tout manquement purement technique aux règles du jeu. Seule une faute caractérisée révélant une agressivité, malveillance, ou mépris à l’égard des règles du sport répond aux conditions de la faute sportive.

Cette analyse jurisprudentielle, a par ailleurs conduit, les juges de cassation, à définir certains sports, tels que le karaté. Dans une décision de 2004 (Cass, civ 2°, 23 septembre 2004), les juges affirment que : « le karaté est basé sur des techniques de blocage et de frappe pieds et poings fermés, sans toucher le partenaire à l’impact », et donc que « le coup porté poing ouvert, doigts tendus et de manière particulièrement violente est contraire à la règle du jeu ». Pour les commentateurs de cet arrêt, c’est un amalgame fait par les juges entre un art martial et un art juridique.

Limites de l’acceptation des risques

Comme mentionné précédemment, la Cour de cassation refuse de voir dans l’acceptation des risques une cause d’exonération de responsabilité. Ainsi, d’un côté, bien qu’elle soit inhérente à la pratique de sports dangereux, elle ne peut couvrir toutes les fautes de l’auteur. D’un autre côté, une faute ordinaire n’est pas suffisante pour engendrer la responsabilité de l’agent. Il y a spécificité.

En effet, pour les sports de combat, même si l’interdiction de porter certains coups, ou type de coups est indiscutablement en rapport avec la sécurité des pratiquants, un coup malheureusement donné en raison d’un mauvais contrôle du geste ne saurait, à lui seul, engager la responsabilité de son auteur sans rendre la discipline impraticable. La victime va devoir prouver que les règles ont été bafouées.

Le problème réside alors dans la connaissance de ces règles car la jurisprudence n’a pas défini tous les sports de combat, et ne leur a fixé aucun régime juridique.

Par exemple, les coups, en particulier au niveau du visage doivent nécessairement intégrer une certaine dose de puissance. La plupart des sports de combat ont pour règle le système des dix secondes : si à la suite d’un coup porté, l’un des deux combattants s’effondre et reste à terre pendant dix secondes, l’auteur du coup remporte la victoire. Mais comment un juge pourra-t-il se prononcer sur l’excès de violence qui peut résulter d’un tel coup ? A quel moment ce coup devient-il dangereux pour l’adversaire en sachant qu’il doit être assez puissant pour le mettre KO à minima pendant dix secondes ?

La solution retenue par les juges semble casuistique. Dans l’arrêt Cass, civ 2°, 23 septembre 2004, l’appréciation du karaté par les juges en tant qu’art martial « basé sur des techniques de frappes pieds poings fermés, sans toucher le partenaire à l’impact », revient à donner une image restrictive de ce sport.

Il faut bien entendu prendre en compte l’âge et les modalités d’exercice des karatékas ; les jeunes du fait le leur expérience plus réduite auront plus de mal à contrôler leurs gestes, les règles de la compétition exigent un impact au bout de la technique, et le karaté, art martial initialement créé pour faire du corps une arme mortelle, comporte un certains nombre d’attaques mains ouvertes. Ainsi, l’âge, les conditions d’exercice, l’expérience, et le niveau des participants devra, entre autre, être pris en compte par le juge, en plus des règles de ces sports. Cependant, ces conditions ne doivent pas venir remplacer la caractérisation de la faute volontaire et contraire à la règle du jeu, et inversement.

Les sports de combat disposent (pour la plupart) de règles et techniques spécifiques, avec des structures d’encadrement faisant office de régulateur. L’exercice de ces sports implique nécessairement que des risques doivent être pris, dans une optique de dépassement de soi, de compétition, de victoire, et pour lesquels l’emprise juridique en excès se révèlerait nuisible, et en cas d’absence dangereuse.

En matière d’acceptation des risques voir l’exemple du golf